Chapitre 19
Sans surprise, la police nous rendit très vite une petite visite. On avait entendu des coups de feu dans le quartier mais quand Adam expliqua qu’il s’agissait d’une voiture qui avait eu un raté, les flics le crurent. Après tout, il était flic lui aussi. C’est pratique parfois.
Adam transporta le corps à la cave pendant qu’Andy et moi nettoyions au mieux le sang sur le sol. Brian était toujours assis dans un fauteuil, l’air malade et choqué. Il n’avait pas levé les yeux ni même cligné des paupières – d’après ce que j’en avais vu – quand les policiers s’étaient présentés à la porte. J’aurais aimé savoir quoi lui dire. Tout ce qui me vint à l’esprit fut un truc du genre « Bienvenue dans mon monde », mais c’était sans doute indélicat.
Je remarquai avec un frisson que mes mains ne tremblaient pas et que je ne ressentais pas le besoin de vomir. Je nettoyais du sang sur le sol pendant qu’Adam cachait le cadavre d’un homme qu’il venait juste de tuer et j’acceptais tout ça sans sourciller. Voilà qui était effrayant. J’aurais dû être dans le même état que Brian.
Pendant un moment, il n’y eut pas d’autre bruit que celui de l’eau répandue et du frottement du balai-brosse sur la moquette. Cette dernière me semblait irrécupérable. On pourrait enlever la majeure partie du sang mais il resterait toujours une tache importante, une fois la besogne finie. Appeler un professionnel du nettoyage de moquette n’était pas vraiment envisageable. Je continuai à frotter.
— Pourquoi n’appelle-t-on pas la police ? demanda finalement Brian.
Je levai les yeux de ma brosse pour constater que son visage avait repris un peu de couleurs et qu’une étincelle d’intelligence était réapparue dans son regard. Je n’étais pas certaine de pouvoir considérer ce changement comme un progrès. Brian est un citoyen très respectueux des lois et je craignais d’avoir à batailler pour l’empêcher d’aller tout raconter aux flics.
— Adam est policier, dis-je en essayant de gagner du temps pour trouver quoi répondre d’autre.
Brian acquiesça.
— Et si je comprends bien, il est en train de cacher le corps d’un homme qu’il vient juste de tuer. Bon sang, mais qu’est-ce qui se passe ?
Je soupirai. Près de moi, Andy, nous ignorant soigneusement, brossait toujours comme s’il ne pouvait entendre notre discussion.
— Il y a une raison pour que je te garde à l’écart de tout ça, lui dis-je. C’est… compliqué. Et nous ne pouvons nous permettre que la police s’en mêle.
J’avais déjà bien assez de mal à répondre aux questions de Brian, je m’imaginais mal expliquer tout cela à la police. Pas sans attirer l’attention sur nous et sans rendre nos vies plus compliquées qu’elles l’étaient déjà. Vu le déchaînement de violence dont j’avais été le centre quand Lugh avait pris le contrôle de mon corps la première fois, la police m’avait déjà peut-être mise sur une sorte de liste secrète de surveillance.
— Ce n’est pas une explication suffisante, répondit durement Brian. Arrête de me tenir à l’écart et dis-moi ce qui se passe ! J’ai fait de mon mieux pour m’écraser jusqu’à présent mais je ne vais pas rester assis tranquillement et être témoin d’un meurtre sans rien faire !
Ouais, son visage reprenait des couleurs, c’était sûr. Il prenait une teinte peu attirante de rouge.
— Sans parler du fait que Dominic est maintenant possédé par un démon illégal ! Est-ce que tu as conscience du nombre de lois que ce démon a déjà enfreintes ?
J’avais été tellement soulagée que Dominic ne meure pas que je n’y avais même pas songé. En plus du fait que Dominic n’avait pas signé tous les documents adéquats de consentement, le transfert de peau à peau était strictement interdit, quelle que soit la raison. Cela rassurait le grand public, bien que de nombreux groupes de plaidoyer en faveur des malades et des mourants combattent continuellement la loi devant les tribunaux. Ils n’étaient pas près de remporter cette bataille. J’étais loin d’être la seule personne à ne pas apprécier les démons en règle générale.
— Je préfère enfreindre la loi que de laisser Dominic mourir, dis-je en haussant le ton. (Je m’étais bien comportée jusque-là mais quelque chose en moi venait de claquer.) Et il n’aurait pas été blessé si vous n’étiez pas descendus en courant comme des abrutis de machos ! À quoi donc pensais-tu ?
Brian se leva en repoussant le fauteuil. Comme je n’avais aucune envie de me disputer avec lui à genoux, une brosse à la main, je me levai moi aussi.
— Bordel, on a entendu des coups de feu ! cria Brian en me dominant tout en empiétant sur mon espace personnel.
Je tressaillis, je n’étais pas habituée à une telle grossièreté de la part de Brian.
— Qu’est-ce qu’on était supposés faire ? poursuivit-il. Nous planquer à l’étage comme des fillettes ?
— Oui ! répondis-je, en le poussant au niveau du torse sans aucune raison valable. Vous auriez dû rester à l’étage comme nous vous l’avions dit. Vous auriez pu vous faire tuer tous les deux.
— Comme vous trois !
— Au moins deux d’entre nous ont un démon qui aurait pu nous guérir, ce n’est pas comme…
Je ne me rendis compte de ce que je venais de dire que lorsque je vis Brian écarquiller les yeux sous le choc. Je me repassai mes propos dans ma tête et mon visage se vida de tout son sang.
Brian regarda Andy qui avait cessé de faire semblant de brosser la moquette.
— Je croyais… (Brian secoua la tête.) Ton démon t’a quitté ! Ou bien as-tu fait semblant d’être en état de catatonie pendant toutes ces semaines ?
— Non, je ne suis plus possédé, répondit Andy sans tenir compte de mon regard suppliant.
Je déglutis, mon cœur battait dans ma gorge et Brian me regardait avec horreur. Je le vis lutter pour trouver les mots, sans y parvenir. Et je sus que peu importait combien je voulais le protéger de la vérité, je n’avais aucun moyen de la dissimuler plus longtemps. Merci mon foutu inconscient !
— Oui, Brian, dis-je. Je suis possédée. Mais tout cela est très étrange. Mon démon est comme qui dirait… caché. Il ne semble pas être capable de prendre le contrôle sauf quand je dors. C’est un bon démon, mais beaucoup d’autres voudraient le voir mort. (Je laissai échapper un long et lent soupir.) Je ne voulais pas te le dire. Je ne voulais pas que tu te retrouves au milieu de tout ça. Ma vie ne m’appartient plus vraiment.
Brian essayait de digérer ce que je venais de lui dire. En vain. Je n’avais pas tout avoué mais, vu le regard vitreux qu’il m’adressait, c’était mieux ainsi.
Quelle idiote. Chaque fois que j’avais envisagé – puis rejeté – l’idée de lui confier la vérité, j’avais toujours pensé que cela ne ferait que le traîner au beau milieu d’une guerre civile de démons. Cela ne m’avait pas effleuré l’esprit qu’il pouvait écouter ce que j’avais à dire et décider qu’il n’avait plus rien à faire avec moi. C’était pourtant ce que l’expression de son visage suggérait.
— C’est beaucoup à digérer, je sais, dis-je aussi doucement que possible. Tu peux peut-être prendre le temps de savoir ce que tu en penses ou ce que tu ressens. Tu devrais être en sécurité, du moins pour le moment. Peut-être devrais-tu rentrer chez toi et passer une bonne nuit. On peut en reparler demain et je répondrai à toutes tes questions. (Bien sûr, je choisirais quelle question et de quelle manière j’y répondrais.) Je ne te demande qu’une chose ce soir, n’appelle pas la police. Et ne parle à personne de tout ça.
— Tu ne me demandes qu’une chose ? répéta-t-il avec un rire amer. Tu me demandes d’être complice d’un meurtre.
— Je te demande de me faire confiance. Tu sais ce que je pense des démons. Mais celui-ci, dis-je en tapotant ma poitrine, il faut que je le protège. Je t’en prie.
Il y réfléchit pendant ce qui me sembla prendre douze heures, puis acquiesça. Il me considéra de son regard le plus froid et le plus implacable.
— Je ne vais pas appeler la police. Et je ne dirai à personne que tu es possédée. Du moins pour le moment. Tu as raison, j’ai besoin d’un temps de réflexion. Alors je vais rentrer chez moi et je vais réfléchir. Et demain, nous parlerons. Et, Morgane, il vaudra mieux que tes réponses me conviennent.
Je détestai son regard. Je détestai la douleur qui battait dans ma poitrine et les larmes qui me piquaient les yeux.
Nous sursautâmes tous quand Adam s’éclaircit la voix sur le seuil de la cave. Il se tenait entre Brian et la porte d’entrée et, bien qu’il essayât de paraître détendu, sa main planait au-dessus de son arme.
— Hum, vous croyez vraiment que c’est une bonne idée ? demanda-t-il, le regard passant de Brian à moi.
Les cheveux de ma nuque se redressèrent. Je n’aimais pas beaucoup Adam le démon mais je ne savais rien du tout d’Adam en tant qu’humain. Était-il aussi pénible que son démon ? Il n’avait pas l’expression dure et effrayante qu’Adam affichait souvent… mais sa main était très proche de son arme.
L’air désinvolte, je m’avançai pour me positionner dans sa ligne de mire. Le léger haussement de sourcils d’Adam me prouva que je n’avais pas été aussi discrète que je l’avais pensé.
— Si Brian dit qu’il va garder ça pour lui, c’est qu’il le fera, dis-je. Il n’est pas du genre à ne pas tenir parole.
Adam rumina cette déclaration.
— Ad… mon démon ne le laisserait pas partir d’ici. Tu le sais.
J’acquiesçai lentement, il n’était pas question de ce qu’Adam le démon aurait fait.
— Mais il est occupé en ce moment et tu es responsable. Brian est un témoin innocent et il a donné sa parole. J’ai plus à perdre que n’importe qui d’autre. On peut me brûler vive si je me trompe. Je lui fais confiance, il tiendra promesse.
Adam grimaça.
— Eh bien. Mon démon va m’enguirlander.
Il éloigna sa main de l’arme et il s’écarta afin de laisser le passage à Brian.
Brian n’adressa pas un mot à qui que ce soit. Après avoir jeté un dernier regard sur les taches de sang qui maculaient la moquette, il fila droit vers la porte d’entrée et la claqua derrière lui.
Nous finîmes de nettoyer la moquette en parlant le moins possible. Adam versa un détergent enzymatique sur les taches tenaces en nous jurant qu’avec ce produit la moquette serait comme neuve. Je ne voulais pas savoir comment il pouvait être aussi sûr de son coup.
— Bien, dit Adam quand nous eûmes fini. Je ne sais pas pour vous mais moi, je prendrais bien un remontant après toute cette histoire.
— Merci, dit Andy, mais si ça ne vous dérange pas, j’aimerais rentrer à la maison. J’en ai ma claque.
Ses mains tremblaient et je dus lutter contre une irrésistible envie de le prendre dans mes bras pour lui assurer que tout se passerait bien. Je jetai un regard nerveux en direction du plafond, puis vers Adam.
— Tu crois que Dom peut rester seul pendant que tu nous ramènes à l’appartement ?
Andy devança la réponse d’Adam.
— Je vais appeler un taxi. Et je retourne chez moi. Der Jäger est hors course, du moins pour le moment, et je veux profiter de ce sursis.
Je fronçai les sourcils.
— Oui, mais tu habitais avec moi à cause de Raphael et pas du Jäger.
Andy se rembrunit.
— Je ne vais pas passer le restant de mes jours à me cacher. Je suis plus fort maintenant et je peux me débrouiller tout seul.
— Andy…
— Tu as oublié la conversation qu’on a eue plus tôt ?
Ces mots me frappèrent comme une gifle. Je suppose que je m’étais autorisée à oublier. Si la situation avait été inversée, je ne pense pas que j’aurais souhaité rentrer chez mon frère, moi non plus.
— Je comprends pourquoi tu as agi ainsi, poursuivit Andy, mais cela ne veut pas dire que je te pardonne.
Et lui aussi partit en colère. Une fois encore, les yeux me brûlèrent. Je déteste pleurer et je le fais le moins possible. Mais, là, je ne désirais qu’une chose, enfouir mon visage dans l’épaule de quelqu’un et pleurer toutes les larmes de mon corps.
Je sursautai quand Adam me donna une tape dans le dos.
— Allez, dit-il. Assieds-toi, je vais te servir un verre.
— Je devrais rentrer chez moi, répondis-je d’une voix rauque, mais je cédai quand il me poussa vers le canapé.
Adam disparut dans la cuisine. Quelques minutes plus tard, j’entendis le gémissement distinct de la machine à expresso. Ce n’était pas le genre de boisson auquel je m’étais attendue mais c’était probablement mieux à long terme. J’apprécie quelques cocktails fruités et frou-frou dans lesquels on ne sent pas le goût de l’alcool et je peux avaler un rhum-coca en cas d’urgence, mais je pensais qu’il allait m’offrir une boisson bien virile comme un scotch on the rocks. Je me sentais assez mal pour m’obliger à le boire sans pour autant l’apprécier.
Il revint bientôt avec deux mugs fumants. L’arôme légèrement amer de l’expresso se mélangeait au parfum doux de la noisette. Il posa les deux tasses et je vis qu’il avait ajouté du lait dans mon café alors que le sien était noir. Entourant le mug de mes mains, j’inspirai profondément.
— Expresso à la noisette, c’est ça ? demandai-je. Je ne savais pas que cela existait.
Il sourit en prenant sa tasse.
— Ça n’existe pas. Je t’ai relevé ton café avec du frangelico. Je sais que tu n’aimes pas trop les alcools forts, mais celui-ci est assez doux pour que tu puisses le boire.
Je clignai des yeux.
— Tu connais mes goûts en matière de boisson ?
Il but une gorgée de café.
— Je sais tout ce qu’Adam… euh, mon démon sait de toi. Il ne me bloque quasiment jamais.
Je sirotai aussi mon café. Il avait raison, la liqueur était tellement douce et l’expresso si fort que je sentais à peine le goût de l’alcool.
— C’est vraiment bon.
— Merci. Mais bois-le lentement ou cela va te faire tourner la tête.
Pendant un bon quart d’heure, nous restâmes assis sur le canapé à partager un silence agréable et à siroter nos cafés. Je ne sentais pas le goût de l’alcool, mais j’en percevais sans aucun doute les effets relaxants. Je me demandai quelle dose de frangelico il avait mis dans ma tasse avant de décréter que je ne voulais pas savoir.
— Est-ce qu’il y a des questions que tu souhaites me poser pendant que mon démon n’est pas dans le coin ? demanda Adam.
D’ordinaire, je parviens à bâillonner ma curiosité à propos d’Adam et de tout ce qui a trait aux démons. Mais soit j’avais réellement besoin de croire à une illusion d’amitié, soit la liqueur m’avait ramollie plus que je le pensais, car, cette fois, je cédai à la tentation.
— Ouais. Si ça ne te dérange pas de parler.
Il s’installa plus confortablement dans le canapé.
— Pas du tout. J’ai environ vingt-quatre heures sabbatiques. J’aimerais en profiter.
— Est-ce que tu veux qu’il revienne en toi ? demandai-je avant de réfléchir à une question plus appropriée.
Adam sourit.
— Oui, je veux qu’il revienne. Nous formons une sacrée bonne équipe.
— Alors tu l’apprécies vraiment ? demandai-je, l’air incrédule, même à mes propres oreilles.
Adam regardait le contenu de sa tasse en le faisant tourner d’un air absent.
— Je le connais depuis beaucoup plus longtemps et beaucoup plus que toi. Je ne suis pas toujours d’accord avec ses méthodes et je sais qu’il pourrait améliorer son relationnel parfois, mais c’est vraiment un type bien. Alors oui, je l’apprécie.
— Même s’il ne te bloque presque jamais ? Ce qui, en passant, n’est pas la même chose que jamais.
Il haussa les épaules.
— Il se comporte parfois en abruti. Mais moi aussi. La seule fois où il m’a bloqué pendant un temps assez long, c’est quand tu as dit à Dominic que Saul n’était pas mort.
Je grimaçai. Cela n’avait pas été un de mes grands moments de diplomatie. La plupart des humains pensent que les démons meurent quand ils sont exorcisés. Quand j’ai pratiqué l’exorcisme sur Dominic – dont le démon, Saul, avait été la victime d’une accusation bidon – Dom avait fait son deuil. Parce que c’était aller contre la loi des démons que de lui dire la vérité, ni Adam ni Saul ne lui avaient confié que l’exorcisme ne ferait que renvoyer son démon dans le Royaume des démons sans le tuer. Je lui avais déballé la vérité à un moment inapproprié et j’avais été à l’origine d’un conflit dans leur relation.
Ce soir-là, Adam avait demandé à Dom de le fouetter pour faire pénitence et l’expérience n’avait en aucun cas été une partie de plaisir. Pire, Adam avait refusé de soigner ses blessures.
— Je lui ai dit qu’il était un imbécile, poursuivit Adam, et qu’il devait se soigner.
Je dus avoir l’air horrifié parce qu’il se hâta de me rassurer.
— Je n’ai rien senti. Ce n’était pas moi qu’il punissait, mais lui. Peu importe, il voulait se complaire et ne voulait pas entendre mon avis, alors il m’a bloqué jusqu’à ce que tu le ramènes à la raison.
Ce qui restait dans mon mug était tout au plus tiède, mais j’en bus tout de même une gorgée.
— Tu savais que Saul n’était pas mort ?
Un des coins de la bouche d’Adam se crispa, à peine une fraction de seconde.
— Non. Adam laisse passer de temps à autre des informations que je ne suis pas censé connaître, mais celle-ci n’en faisait pas partie. Je lui en aurais certainement voulu s’il ne s’était pas senti aussi mal pour Dom. (Il fit courir son pouce sur le tour de sa tasse et soupira.) Peut-être que j’étais en colère contre lui et que c’est pour cette raison qu’il m’a bloqué. Il est trop loyal envers Lugh pour enfreindre la loi des démons. Je le comprends et l’accepte.
— Qu’est-ce que ça fait ? D’être bloqué ?
Il se pencha en avant pour poser son mug sur la table mais je crois que c’était plus pour éviter de croiser mon regard.
— Ce n’était pas amusant. (Il se frotta les mains.) C’est comme se retrouver au fond d’une oubliette très noire et très profonde. S’il n’était pas réapparu de temps en temps pour m’assurer qu’il ne m’avait pas oublié… (Il frissonna.) Je peux comprendre que ton frère ait du mal à se retrouver si Raphael lui a fait endurer cela pendant de longues périodes.
Je secouai la tête.
— Et pourtant tu veux que ton démon revienne en toi ?
Il chassa l’expression troublée de son visage.
— Il m’a bloqué pendant environ douze heures. Et même pendant que j’étais bloqué, il s’est assuré de me faire comprendre que c’était temporaire. Dans le grand ordre de l’univers, ça ne vaut pas le coup d’en faire une histoire.
Peut-être pour lui. Pour moi, ça tenait de l’enfer sur Terre. Je soupirai.
— Je suppose que je ne comprendrai jamais.
Être complètement sous le contrôle de quelqu’un… j’avais déjà du mal à accepter que Lugh contrôle mes rêves. Je ne pouvais imaginer ce que cela devait faire d’être impuissante vingt-quatre heures sur vingt-quatre en sachant que c’était pour le restant de mes jours. Je ne pouvais imaginer accepter de subir tout ça.
Adam haussa les épaules.
— Peut-être pas. J’ai su toute ma vie que j’hébergerais un jour un démon. Adam et moi sommes extrêmement compatibles. Tout cela est vraiment très… confortable pour moi.
Je réprimai un frisson.
— Alors cela ne te gêne pas qu’il utilise ton corps pour torturer des gens ? Ou pour les tuer ? Ou, bon sang, pour faire du mal à Dominic ?
— Il ne fait rien à Dom que Dom ne veuille. Dom était dans ce trip avant de devenir hôte.
Il évitait la partie importante de ma question. C’était malgré tout une réponse. Il devait lui arriver de se révolter contre les méthodes de son démon mais sa protestation était superficielle.
— Et toi ? demandai-je.
Bon sang, je venais de demander à un parfait inconnu s’il avait des pratiques SM ! Rebelote pour le rougissement et le regard fuyant. Adam gloussa.
— J’invoque le 5e amendement pour cette question. Tu veux savoir autre chose ?
Je voulais répondre « Non », vraiment, je le voulais, au lieu de quoi je demandai :
— Est-ce qu’il me déteste ?
Note à mon attention : en cas de traumatisme et de manque de sommeil, ne jamais avoir de grandes conversations quand on a bu des quantités indéterminées de frangelico.
Adam ne répondit pas tout de suite, ce qui me permit d’espérer brièvement qu’il allait ignorer la question. Pas de chance.
— Est-ce que tu le détestes ? rétorqua-t-il.
Je croisai son regard curieux et ne trouvai pas la voix pour répondre. Je n’aimais pas Adam le démon. C’était un connard de première classe à la moralité plus que douteuse. Pourtant, dans des moments de faiblesse, je m’étais surprise à le désirer. Cela voulait-il dire que je ne le détestais pas ?
— Je crois qu’il est temps pour moi de rentrer et de piquer un roupillon, dis-je au lieu de répondre à la question d’Adam.